Le manager hic et nunc

Il nous arrive d’être assez stupéfait par le comportement de nos interlocuteurs en entreprise, malgré tout le respect qu’on leur doit. Le « court-termisme » est devenu la règle, incroyablement. Plus que le « court-termisme », les managers semblent préférer l’instant présent à prendre le risque d’imaginer l’avenir.
Le but de nos interventions est de projeter l’organisation à moyen terme, en tenant compte de son contexte actuel, d’un objectif de transformation, sur la base d’éléments dimensionnant, projetés au mieux, et des capacités managériales. Pourtant nous tempérons souvent des objectifs hyper-ambitieux, peut-être inaccessibles, selon l’idée qu’on ne gravit pas un escalier sans savoir en franchir la première marche. Résultat : nous invitons au pragmatisme, et esquissons souvent une organisation moins fleurie mais plus réaliste.
Malgré cela, nous tombons souvent de notre chaise lorsque certains de nos interlocuteurs – cadres de leur état – font preuve d’une très faible capacité de projection, dans le temps et l’espace, au sens de la forme que prendra l’organisation, en termes de missions, de responsabilités, d’activités, de pilotage. Ce sont pourtant des personnes intelligentes, capables, et parfaitement sociables. Pourtant, dès qu’il s’agit de tenir compte du temps (qui ne se stocke pas), que ce soit à 2 semaines, 2 mois ou 2 ans, il nous arrive d’avoir le sentiment que les rôles sont inversés, que la réflexion nous appartient, à nous seuls modestes consultants, et que les cadres n’auraient plus à réfléchir.
A contrario, ces mêmes managers sont tout à fait en mesure d’évoquer un futur idéalisé mais non borné ou jalonné, faisant en cela écho à des objectifs mirifiques, en parfait alignement avec l’idée « demain, ça rase gratis », faisant ainsi abstraction de toutes contraintes de ressources, de moyens. Tout cela est un peu choquant : comme si le manager hic et nunc (ici et maintenant) renonçait à penser demain, alors que tout incite à une pensée mobile, apte à la remise en question, au changement, parce que le monde bouge. Peut-être est-il trop attaché (lié) à la réalisation de ses objectifs ?
La chose n'est totalement nouvelle. Je suis tombé sur cette coupure de presse d'août 2011. Le Monde y livrait quelques témoignages d'anciens collaborateurs d'agences de notation. A quelques lignes d’intervalles on peut lire : « Les réglementations des process se sont alourdies parce que les agences souhaitaient parer aux critiques », dixit Nicolas (ex Standard & Poor's) puis « On a demandé aux analystes de moins réfléchir et d'appliquer plus mécaniquement les ratios ».
Cela incite à réfléchir.
Laurent HOUMEAU